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Le Sénat déclare la guerre au loup : chers élus EELV, vous avez voté une belle idiotie

Publié le par Patrick Morel

Éloigner les loups des zones de pâturage et des territoires montagneux. Tel est l'objet d'un amendement récemment adopté au Sénat. Cela peut-il entraîner pour l'animal la disparition de son statut d'espèce protégée ? C'est ce que craint fortement Yves Paccalet, qui regrette par ailleurs que ses camarades écologistes ne se soient pas opposés à un tel projet.

Loup des Chabrières du parc animalier des Monts de Guéret (Flickr/Daniel Jolivet/CC)

Loup des Chabrières du parc animalier des Monts de Guéret (Flickr/Daniel Jolivet/CC)

Je me suis plusieurs fois opposé (non sans une ironie facile et potentiellement blessante) aux décisions politiques qu’ont pu prendre les écolos d’Europe-Écologie-les-Verts, mes frères et sœurs naturel(le)s. Je me persuade que, pour me faire pardonner, je devrais pondre d’urgence un texte qui les loue, et qui leur délivre les satisfecit auxquels ils (elles) ont droit pour leur remarquable contribution au débat public.

 

Ce ne sera pas encore le cas aujourd’hui. Je suis désolé de devoir, à nouveau, dégainer mon fouet et donner dans la critique acariâtre. Comme disait Voltaire (ou Antigonos, roi de Macédoine, il y a polémique sur la paternité de la formule), "protégez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge"...

 

Le jeudi 10 avril dernier, le sénateur UDI de Haute-Savoie Jean-Paul Amoudry fait voter, au détour d’un projet de loi sur l’agriculture, un amendement qui établit "la nécessité de définir des zones de pâturage préservées ou indemnes de prédateurs tels que le loup", afin "de réserver les territoires montagneux".

 

Une déclaration de guerre au loup

 

Un amendement de cette teneur constitue ni plus ni moins qu’une déclaration de guerre au loup, espèce protégée par la Convention de Berne, que la France a signée et qui l’engage devant le monde entier. C’est une agression contre la biodiversité, dans une période où le gouvernement prépare sa grande loi d’orientation sur cette question essentielle à l’existence même de l’humanité.

 

Qu’auraient dû faire les sénateurs écologistes, s’ils avaient un tant soit peu l’âme naturaliste, la passion de la vie sauvage et le respect de la confiance que leur accorde leur électorat ? Ils auraient dû réagir, pousser les hauts cris et voter bruyamment contre ce texte stupide et "lupicide". Hélas ! L’amendement a été adopté à l’unanimité par le Sénat. Les élus écolos ont donc voté pour, par ignorance ou par bêtise.

 

Le sénateur Amoudry peut fanfaronner :

 

"Le dossier loup, proclame-t-il, efface désormais certaines barrières idéologiques… tout comme il s’affranchit des limites géographiques."

 

La suite logique de cette décision sénatoriale, si elle débouchait sur une loi complète, serait qu’on tenterait, dans la foulée, d’"assouplir" la Convention de Berne ; qu’on ferait passer le loup du statut d’"espèce strictement protégée" à celui d’"espèce simplement protégée", autrement dit propre à être "régulée" ou "prélevée" (tel est le vocabulaire des tueurs) ; autrement dit : bonne à être fusillée à volonté, sans autre forme de permission ni de procès.

 

La belle connerie des sénateurs écologistes

 

Qu’un tel amendement ait été voté par la plupart des sénateurs actuels ne m’étonne pas. Qu’il l’ait été par les sénateurs écologistes est, au choix, une belle connerie ou une authentique saloperie, ou les deux à la fois.

 

J’espère que, lorsque ce texte viendra en discussion à l’Assemblée nationale, nos députés ne seront pas aussi absents, naïfs ou indignes de leur étiquette, et qu’au moins ils s’opposeront résolument à ces phrases qui se situent à l’exact opposé de l’idéal d’harmonie sur la Terre d’un Lao Tseu ou d’un Saint François d’Assise.

 

Je le dis dans un essai que je suis en train d’écrire et qui paraîtra dans quelques semaines : le loup (comme l’ours, le tigre, le lion, le requin et les autres mal-aimés) est nécessaire. Il est beau. Il est utile. Il hurle à merveille sous la lune. Il contribue à la splendeur de la planète. Comme les autres prédateurs, il joue un rôle décisif dans les chaînes alimentaires. Mais il représente bien davantage. Il peuple nos récits, nos poèmes, nos œuvres littéraires, philosophiques, picturales ou musicales. Il incarne le héros de nombre de contes pour enfants. Il participe de nos mythologies, de nos représentations, de notre culture, de ce que nous appelons notre "civilisation".

 

Le loup est indispensable à notre patrimoine culturel

 

Si nous l’éliminions de la surface de la Terre (ce que nous sommes en train de faire, et ce que l’amendement susdit contribuerait à accélérer), nous nous priverions non seulement d’un prédateur rapide, élégant, discret et nécessaire à nos forêts, mais d’une fraction essentielle de nos plus beaux poèmes. Nous nous amputerions du "Roman de Renart", des "Fables" de La Fontaine, de la "Mort du loup" de Vigny, du "Petit chaperon rouge", des "Trois petits cochons", de "Pierre et le loup" de Prokofiev et de cent autres œuvres. Nous nous couperions de notre âme d’enfants, et nous couperions nos enfants de l’âme de nos ancêtres.

 

Nous renoncerions au bien le plus précieux de l’humanité : notre capacité à rêver…

 

Nous avons besoin du loup. Il fait partie de nous-mêmes. Nous pouvons parfaitement assurer l’avenir les éleveurs de moutons sans dégainer nos fusils. Sans répandre le sang de celui qui fut l’ancêtre de notre ami le chien…

 

Que des sénateurs écologistes ne comprennent pas ce message envoyé par la planète Terre me met hors de moi ou me consterne, selon l’état de mes hormones. Lorsque nous aurons exterminé le loup, nous deviendrons moins humains.

 

Et la biodiversité, camarades ? Songez-y, car c’est de notre humanité qu’il s’agit.

 

Par Yves Paccalet
philosophe écologiste

Pour le Nouvel Observateur

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